Quand l’Islande réinvente la démocratie16 décembre 2010
par
Jean Tosti
Depuis le samedi 27 novembre, l’Islande dispose d’une Assemblée
constituante composée de 25 simples citoyens élus par leurs pairs. Son
but : réécrire entièrement la constitution de 1944 en tirant notamment
les leçons de la crise financière qui, en 2008, a frappé le pays de
plein fouet.Depuis cette crise dont elle est loin d’être remise, l’Islande a
connu un certain nombre de changements assez spectaculaires, à commencer
par la nationalisation des trois principales banques, suivie de la
démission du gouvernement de droite sous la pression populaire. Les
élections législatives de 2009 ont amené au pouvoir une coalition de
gauche formée de l’Alliance (groupement de partis composé des
sociaux-démocrates, de féministes et d’ex-communistes) et du Mouvement
des Verts de gauche. C’était une première pour l’Islande, tout comme la
nomination d’une femme, Johanna Sigurdardottir, au poste de Premier
ministre.
Très vite, le nouveau gouvernement se trouve face à un problème
épineux : le règlement aux Pays-Bas et au Royaume-Uni d’une dette de 3,5
milliards d’euros suite à la faillite d’Icesave, banque en ligne dont
les opérations étaient tournées principalement vers ces deux pays. Sous
la pression de l’Union européenne, à laquelle les sociaux-démocrates
souhaiteraient adhérer, le gouvernement fait voter en janvier 2010 une
loi autorisant ce remboursement, ce qui reviendrait, pour chaque
Islandais, à débourser pendant huit ans une somme d’environ 100 euros
par mois. Mais le président de la République refuse de ratifier la loi,
dont le texte est alors soumis à un référendum. À plus de 93%, les
Islandais votent contre le remboursement de la dette (6 mars), et depuis
le problème reste en suspens.
C’est dans ce contexte que l’Islande décide de modifier sa
constitution, qui en fait n’a jamais été vraiment rédigée : lorsqu’en
1944 la république avait été proclamée, on s’était contenté de recopier
dans les grandes lignes la constitution du Danemark, pays dont l’Islande
dépendait depuis plusieurs décennies, en remplaçant simplement le terme
de “roi” par celui de “président de la République”. C’est donc une
nouvelle constitution qu’il s’agit d’écrire entièrement, et pour cela on
a décidé de faire confiance au peuple souverain. Il y a eu d’abord un
appel à candidatures (tout le monde pouvait se présenter à l’exception
des élus nationaux, à condition d’avoir dix-huit ans révolus et d’être
soutenu par au moins trente personnes) auquel ont répondu 522 citoyennes
et citoyens. C’est parmi eux qu’ont été élus les 25 constituants.
Ces derniers commenceront à se réunir à la mi-février et rendront
leur copie avant l’été. Parmi les propositions qui reviennent le plus
souvent, on peut noter la séparation de l’Église et de l’État, la
nationalisation de l’ensemble des ressources naturelles et une
séparation claire des pouvoirs exécutif et législatif.
Certes, l’Islande n’est qu’un petit pays d’environ 320 000 habitants.
Elle donne cependant là une belle leçon de démocratie aux grands États
dont la France : songeons que, dans notre pays, la réforme
constitutionnelle de 2008 a été entièrement rédigée à l’Élysée, et que
les parlementaires ne l’ont adoptée qu’à deux voix près après avoir été
soumis pendant des semaines à des pressions intolérables de la part du
chef de l’État.