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Manière de voir — Batailles pour l’énergie
115 / Février - mars 2011
Numéro coordonné par Philippe Rekacewicz et Pierre Rimbert
Dans les moteurs de l’avenir
Philippe Rekacewicz et Pierre Rimbert
I. Politique et production
Du moulin à vent au réacteur nucléaire, du muscle animal à la
combustion pétrolière, du mouvement de l’eau aux feux du soleil, le
développement des sources d’énergie consone avec le déploiement de
l’activité humaine. Pour suppléer la faiblesse du corps et accomplir les
desseins de l’esprit, il a fallu s’adjoindre des forces motrices et
calorifiques. Bientôt le bœuf et le bois n’y ont plus suffi.
En Europe et dans le Nouveau Monde, le capitalisme industriel,
entravé par la pénurie de main-d’œuvre, a tâché de substituer les
machines au travail humain. Un mode de production s’est imposé qui ne
dévore pas seulement les producteurs, mais engloutit aussi des quantités
colossales de combustible. Avec le doublement de l’espérance de vie et
le sextuplement de la population mondiale au cours des XIXe et XXe
siècles, les besoins ont crû à un rythme effréné. Pour les assouvir, on a
recouru à des matières abondantes mais non renouvelables — charbon,
pétrole, gaz — et, à moindre échelle, aux installations
hydroélectriques, nucléaires, éoliennes.
Catalyseur de la course économique, l’exploitation de ces ressources a
engendré une industrie elle-même mondialisée, modelée par les intérêts
conjoints du capitalisme et des Etats. La rente y côtoie le marché ; la
politique favorise les stratégies de puissance au dépens de l’intérêt
des peuples. Et, dans l’ombre des cathédrales industrielles, le spectre
de la guerre emboîte le pas à Prométhée.
Histoire d’un problème, espoirs de solutions
Philippe Bovet
Après-guerre et or noir en Angola
Augusta Conchiglia
Stratégie pétrolière ou politique de paix ?
Noam Chomsky
Des brèches dans la sécurité des barrages
Marc Laimé
Habitants contre moulins à vent
Philippe Ollivier
La puissance de l’atome est-elle renouvelable ?
Mycle Schneider
A la conquête de l’Ouest
Serge Halimi
Ville minière, ville minée
S. H.
II. Circulation et spéculation
Aux XIXe siècle, le « grand jeu » désignait la sourde lutte que se
livraient les empires russe et britannique pour la suprématie en Asie
centrale. Depuis la désintégration de l’URSS en 1991, un nouveau « grand
jeu » déploie son échiquier et ses pions en forme de tubes. Ses
enjeux ? Le gaz et le pétrole. Ses protagonistes — Etats-Unis, Russie,
Union européenne, Chine, Japon — se débattent dans un enchevêtrement
d’intérêts commerciaux et de rivalités stratégiques.
Cette fois, le terrain s’étend sur l’ensemble du continent
eurasiatique, de Brest à Vladivostok. Au centre : Moscou. Hier
déliquescente face à l’Amérique, la Russie tire à présent les ficelles
de la géopolitique gazière et pétrolière. Sa diplomatie, discrète mais
efficace, a boulonné l’approvisionnement de l’Europe de l’Ouest ;
alternant coups de griffes et gants de velours, elle a resserré ses
liens avec les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale
(Kazakhstan, Turkménistan, etc.) et s’emploie à contourner les autres ;
en Extrême-Orient, elle attise la concurrence entre Chinois et Japonais
pour l’accès aux hydrocarbures sibériens. La guerre froide a muté en une
guerre des tubes dont le butin se nomme sécurité énergétique et…
profit.
Caractéristique constitutive de la chaîne de l’énergie, la distance
entre lieux de production et lieux de consommation implique une
circulation et des intermédiaires. Gaz et pétrole se métamorphosent
alors en produits financiers ballottés entre bulles et carambouille.
Des prix livrés à la folie des marchés
Akram Belkaïd
L’Europe énergétique entre concurrence et dépendance
Mathias Reymond
Gaz non conventionnels
M. R.
De Brest à Vladivostok, « grand jeu » autour du pétrole et du gaz
Régis Genté
En Asie, la Russie joue la Chine contre le Japon
Rafael Kandiyoti
Vision apocalyptique et optimisme volontaire
Frédéric Langer
Union sacrée contre l’électricité publique
Ernest Antoine
III. Consommation et reconversion
Plus, mieux, ou autrement ? Depuis la première crise pétrolière, des
voix questionnent l’avenir d’un mode de développement qui brûle toujours
plus d’énergie. Hier marginaux, les écologistes ont gagné en audience.
Au « toujours plus », les uns opposent un « consommer mieux » ; les
autres, un modèle économique différent. Tous peinent à transformer leurs
idées en puissance politique appuyée sur des forces sociales.
En attendant, les industriels ont pris la main. « Plus, mieux et
autrement », tel pourrait être le slogan des marchands qui ripolinent
les colonnes du temple. Pétrole vert pour voitures vertes, énergies
renouvelables pour consommateurs responsables, une logorrhée envahit
l’espace public. Au moment où l’Asie ouvre à leurs ambitions un
gigantesque marché, les concepteurs de technologies dites propres misent
sur le renouvellement accéléré des gammes et des modes. Consommer plus
d’appareils qui consomment moins ? Par un renversement non dénué
d’ironie, une forme dégénérée d’écologie tient lieu de moteur auxiliaire
à la croissance mondiale.
« C’est pourquoi, avait expliqué dès 1974 le philosophe André Gorz, il
faut d’emblée poser la question franchement : que voulons-nous ? Un
capitalisme qui s’accommode des contraintes écologiques ou une
révolution économique, sociale et culturelle qui abolit les contraintes
du capitalisme et, par là même, instaure un nouveau rapport des hommes à
la collectivité, à leur environnement et à la nature ? Réforme ou
révolution ? »
Un après-pétrole s’invente en Californie
Agnès Sinaï
Rouages et ravages du mouvement perpétuel
Philippe Mühlstein
L’hypermarché, le Caddie et le congélateur
Philippe Bovet
Agrocarburants contre agriculture au Brésil
Nieves López Izquierdo
Economiser plus pour polluer plus
Cédric Gossart
Voitures propres ?
C. G.
Internet, une industrie lourde
Hervé Le Crosnier
Iconographie
Deux reportages accompagnent ce numéro. Guillaume Zuili, de l’agence Vu, a photographié les puits de pétrole de Bakersfield, en Californie (Etats-Unis), en 2008. Anne-Françoise Brillot
a voyagé au long cours à bord d’un pétrolier en 1997. Le récit de ce
périple est intitulé « La Route de l’or noir. Marins du pétrole ».
Extraits littéraires
« Le Yangtsé sacrifié », de Wei-Wei
« Pyramiden, portrait d’une utopie abandonnée », de Kjartan Fløgstad
« La Supplication. Tchernobyl, chronique du monde »,
de Svetlana Alexievitch
Cartographie
Cécile Marin et Philippe Rekacewicz
Avec des contributions d’Emmanuelle Bournay et Agnès Stienne, ainsi
que du Comité international de Bologne pour la cartographie et l’analyse
du monde contemporain (Dario Ingiusto, Giulia Merlin, Nieves López
Izquierdo et Riccardo Pravettoni)
Un XXe siècle de boulimie
Deuxième âge du charbon
Les habits troués de la « fée électricité »
Nababs et damnés de l’or noir
Moscou, grand maître gazier
Géopolitique des tubes en Asie centrale
A qui profitera le pétrole sibérien ?
Ebriété ou sobriété, un choix politique
Cultiver des champs pour nourrir des voitures ?
Documentation
Olivier Pironet